Statut du dirigeant
Les dirigeants fondent souvent leur statut en se basant sur des idées reçues, sans en maîtriser les conséquences

Au moment de créer son entreprise, le choix du statut social est une étape déterminante. Il influence non seulement la rémunération du dirigeant, mais aussi sa protection sociale et ses droits à la retraite. Si la plupart des chefs d’entreprise ont bien conscience de son importance, ils en perçoivent rarement toutes les implications concrètes à court moyen et long terme. C’est en tout cas le constat fait par Marie Roure, chargée de mission RH au sein du cabinet d’expertise-comptable Agicom, à Isneauville (Haute-Normandie). Créé il y a une trentaine d’années, ce cabinet est dirigé par 4 experts-comptables associés et compte une trentaine de collaborateurs. Il est aujourd’hui structuré en trois services majeurs : pôle social, comptable et commissariat aux comptes.
Pour pouvoir accompagner au plus près les dirigeants dans leurs décisions stratégiques personnelles, Marie Roure a fait le choix de se spécialiser sur ces questions, en suivant la formation « Statut social et stratégie de rémunération » de Factorielles, dont elle sortie major de promo. Entretien.
Quelles missions réalisez-vous auprès des dirigeants d’entreprise ?
Mon objectif est d’accompagner les sociétés dans leurs obligations légales (mise en place des règlements intérieurs, des entretiens, des DUERP…), et depuis près de deux ans, je m’occupe également des études retraite. Au fur et à mesure, j’ai souhaité aller plus loin dans mon accompagnement, en me spécialisant sur le choix du statut, l’optimisation de la rémunération et de la couverture sociale.
En quoi la question du statut social et de la rémunération sont-elles étroitement liées ?
Le statut social conditionne le régime de protection du dirigeant (TNS ou assimilé salarié), ce qui influe directement sur les cotisations et les prestations, donc les droits à la retraite, les prestations en cas d’arrêt de travail, etc.
De son côté, la rémunération est le levier principal pour alimenter ces droits. Optimiser l’un sans réfléchir à l’autre serait une erreur. L’enjeu est de trouver le bon équilibre entre coût, protection et fiscalité.
Les dirigeants sont-ils bien informés sur ces sujets ?
Ce qui m’a le plus frappé au fil des accompagnements, c’est de constater à quel point les dirigeants fondent leur choix de statut en se basant sur des idées reçues, sans en maîtriser les conséquences.
Par exemple, j’entends souvent dire : « Je me mets en SAS pour avoir droit au chômage. » En théorie, cela peut sembler rassurant. Mais en pratique, les conditions d’accès à l’assurance chômage pour un dirigeant sont très restrictives. Il faut en effet pouvoir démontrer l’existence d’un lien de subordination — or, par définition, un dirigeant n’est généralement subordonné à personne. Résultat : pas de lien de subordination, pas d’ouverture de droits.
Il importe donc au cabinet d’expertise-comptable de sensibiliser à ce sujet ?
Bien souvent, l’expert-comptable est contacté pour savoir quel statut choisir au démarrage de l’activité. C’est la fameuse question « SAS ou SARL ? », mais on oublie que la société évolue et donc que le statut peut lui aussi évoluer. Pourtant, tout évolue : l’activité, la structure, les besoins personnels du dirigeant... Le statut social devrait suivre ces évolutions, ou du moins faire l’objet d’un point régulier — au même titre que les autres choix stratégiques de l’entreprise. Il est important de sensibiliser les dirigeants à ce sujet.
Dans le même ordre d’idées, beaucoup de dirigeants ont une vision très floue des garanties concrètes associées à leur statut. On parle souvent de « charges », mais on sait rarement ce qui se cache derrière les prestations : niveau des indemnités journalières, couverture prévoyance, droits à la retraite…
Qu’est-ce qui vous a poussé à suivre la formation pour obtenir le certificat « Statut social et stratégie de rémunération » de Factorielles ?
J’ai choisi cette formation pour renforcer mon expertise sur un sujet devenu clé dans l’accompagnement de mes clients dirigeants.
Factorielles m’a permis d’approfondir les mécaniques des régimes sociaux et de mieux comparer les impacts - aussi bien court que long terme-, en proposant au client une stratégie d’optimisation argumentée et chiffrée.
Mon objectif est de leur apporter une vision claire et personnalisée, pour qu’ils puissent sécuriser leur avenir tout en maîtrisant le coût pour la structure. Je compare les régimes en termes de cotisations, de fiscalité et surtout de niveau de garanties (maladie, prévoyance, retraite).
Qu’avez-vous appris au cours de cette formation et qui vous sert dans votre pratique quotidienne ?
Quand on parle de rémunération, la question se résume souvent à « rémunération ou dividende » ? Mais il ne s’agit pas que de cela. Il faut regarder le revenu disponible (rémunération VS dividende), le revenu différé (la retraite) et le revenu immédiat (toute la partie garanties). Ce sont ces 3 composantes qui vont entrer en jeu.
Quelles stratégies d’optimisation de la rémunération un dirigeant peut-il mettre en place ?
Tout dépend de sa situation personnelle et de celle de son entreprise. Un dirigeant peut arbitrer entre salaire, dividendes et solutions complémentaires telles qu’un PER.
Il peut aussi optimiser son statut juridique - en passant d’une SARL à une SAS par exemple - et mettre en place des garanties prévoyance adaptées. Mon rôle est d’analyser chaque scénario et d’en modéliser les impacts pour aider le dirigeant à faire un choix éclairé, en fonction de ses objectifs personnels et de la situation de sa structure.
Pourquoi l’état de santé doit-il lui aussi être prise en compte ?
La différence entre SARL et SAS est assez marquante en matière de protection sociale. En SARL, le dirigeant est considéré comme un travailleur non salarié. Concrètement, cela signifie qu’il n’est couvert par aucune convention collective et qu’il doit souscrire ses garanties de protection sociale à la carte. Et là, les organismes d’assurance vont poser toute une série de questions : sur l’état de santé, les habitudes de vie comme le tabagisme, etc. C’est seulement après cette évaluation qu’ils pourront proposer un tarif et détailler les garanties incluses.
À l’inverse, en SAS, le dirigeant est assimilé-salarié. Il peut donc parfois bénéficier automatiquement d’une couverture sociale minimale, comparable à celle des salariés. Ce n’est pas du tout le même cadre de protection.
Les dirigeants se préoccupent-ils suffisamment de leur protection sociale ?
Pas vraiment. Lorsqu’on demande à un dirigeant ce qu’il souhaite couvrir en priorité, il répond spontanément « la mutuelle ». Mais dans les faits, une consultation à 30 euros chez le médecin ou quelques centaines d’euros pour des lunettes restent des dépenses généralement accessibles. Ce n’est pas là que se situe le vrai sujet d’optimisation.
Ce qu’il faut mettre en lumière, c’est la prévoyance : l’incapacité, l’invalidité, le décès. Sur ces risques-là, les garanties obligatoires sont très faibles. En cas d’arrêt longue durée, par exemple, le dirigeant n’est couvert qu’à hauteur de 50 % du plafond de la Sécurité sociale — soit moins de 25 000 euros par an. On est loin du niveau de vie qu’un chef d’entreprise souhaite généralement préserver. Et côté décès, les garanties se situent entre 6 000 et 9 000 euros : autrement dit, à peine de quoi couvrir les frais d’obsèques. Sans couverture complémentaire, c’est clairement insuffisant.
Pourquoi ce manque d’anticipation de la part des dirigeants ?
C’est humain. On a tendance à se dire : « L’invalidité, ça n’arrive qu’aux autres », alors qu’on joue volontiers au loto en se disant « et si je gagnais ? ». Malheureusement, on a bien plus de probabilités de devenir invalide que de décrocher le jackpot. C’est pourquoi il est essentiel d’accompagner les dirigeants sur ces sujets, en leur rappelant que derrière ces questions techniques, il y a une réalité très concrète : comment protéger leur famille si un accident de la vie survient ?
C’est tout l’intérêt d’une étude visant à réévaluer le statut et optimiser la rémunération : permettre au dirigeant d’avoir une vision globale de ses besoins, de ses failles potentielles et des solutions qui s’offrent à lui pour sécuriser son avenir.