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Face à la Grande Armée de Napoléon, les Russes et des maladies insoupçonnées
L'article met en lumière une étude ADN de soldats napoléoniens sur les infections subies durant leur campagne en Russie. Les chercheurs ont identifié le pathogène Salmonella enterica Paratyphy C et Borrelia recurrentis chez certains soldats, mais soulignent que d'autres facteurs comme le froid, la faim et les épidémies antérieures ont également joué un rôle dans leur mortalité. Ces résultats ouvrent des pistes pour mieux comprendre cette crise sanitaire historique.
PATRICK KOVARIK - AFP/Archives
En plus des troupes russes, lafièvre paratyphoïde et lafièvre récurrente étaient aux trousses de la Grande Armée napoléonienne lors de sa retraite de Russie en 1812, selon une étude réalisée par l'Institut PasteurEn plus des troupes russes, lafièvre paratyphoïde et lafièvre récurrente étaient aux trousses de la Grande Armée napoléonienne lors de sa retraite de Russie en 1812, selon une étude réalisée par l'Institut Pasteur.
Pour parvenir à cette conclusion, les chercheurs se sont intéressés aux dents de soldats de la Grande Armée, retrouvées dans un charnier en Lituanie.
Nous sommes en juin 1812 lorsque Napoléon se lance à la conquête de l'empire russe, à la tête de sa Grande Armée, une force monumentale de 600.000 hommes issus de toutes les provinces de l'Empire français et des États alliés.
Six mois tard, ils ne sont plus que quelques dizaines de milliers à atteindre Vilnius, en Lituanie, au terme d'une infamante retraite.
Et c'est en 2001, lors d'un projet d'urbanisme à Vilnius, qu'une fosse où reposent près de 3000 corps, identifiés comme des soldats de la Grande Armée, est mise au jour lors d'une campagne de fouille menée par Michel Signoli, d'Aix-Marseille Université.
En 2006, les restes de ces soldats avaient déjà livré quelques secrets via des tests PCR, notamment le fait que le typhus avait touché certains d'entre eux, de même que "lafièvre des tranchées", causée par la bactérie Bartonella Quintana.
"Je savais qu'il restait 13 dents à analyser, chacune appartenant à un soldat différent", relate à l'AFP Rémi Barbieri, post-doctorant dans l'Unité de Paléogénomique Microbienne de l'Institut Pasteur pendant l'étude, et premier auteur de l'étude publiée vendredi par la revue Current Biology.
Avec l'avancée des nouvelles technologies génomiques, Rémi Barbieri a eu l'idée de poursuivre les recherches, en cherchant à savoir si d'autres agents pathogènes avaient pu frapper les soldats napoléoniens.
Les tests PCR utilisés en 2006 "ne permettent que de trouver que ce que l'on cherche. Nous, on a pu faire exactement l'inverse. On n'a absolument rien ciblé, on a utilisé des techniques de séquençage de nouvelle génération appliquée à l'ADN ancien", développe-t-il.
"Quand on analyse la pulpe dentaire d’une dent, on analyse l'équivalent d'unegoutte de sang", explique-t-il.
- "Soupe d'ADN" -
"Chaque dent a fourni environ 20 millions de courts fragments d'ADN transcrits en fichier texte", explique à l'AFP Nicolás Rascovan, auteur principal de l'étude et responsable de l'Unité de Paléogénomique microbienne à l'Institut Pasteur.
PETRAS MALUKAS - AFP/Archives
Ces fichiers contenaient à la fois l'ADN du soldat concerné, celui des contaminations du sol, de bactéries environnementales, et d'éventuels pathogènes: tout s'y retrouvait "comme dans une soupe d'ADN", image Rémi Barbieri.
"Chaque petit texte a ensuite été comparé à une base de données contenant les génomes de tous les microbes séquencés à ce jour", développe Nicolás Rascovan.
Cependant, la tâche la plus délicate a consisté à vérifier l'authenticité de ces fragments d'ADN potentiellement porteurs de maladies. Au terme de multiples étapes de vérification, ils ont pu retenir uniquement les fragments pouvant être attribués sans équivoque à un pathogène.
Et la confirmation définitive est venue d'une analyse de placement phylogénétique: "On a construit un arbre phylogénétique, c'est-à-dire un arbre généalogique de l'espèce et on a essayé de voir parmi toutes les branches, tous les clades ou lignées, où tombait le génome de la souche qui avait infecté les soldats", développe Nicolás Rascovan. "Comme ça, on a pu même arriver à dire quel type de souche les avait infectés".
Sur les 13 soldats analysés, 4 étaient positifs à l'agent infectieux Salmonella enterica Paratyphy C (responsable de lafièvre paratyphoïde) et 2 à l'agent Borrelia recurrentis, responsable de lafièvre récurrente.
Cela ne veut pas dire que ces soldats sont morts uniquement de ces pathologies.
"C'est une combinaison de froid, de beaucoup de maladies infectieuses, de faim, de fatigue qui pourraient expliquer leur mort", souligne Rémi Barbieri. "On sait d'ailleurs, de par les sources historiques, que les rangs de l'armée napoléonienne étaient déjà ravagés par les épidémies avant même le début de la campagne de Russie. C'est extrêmement intéressant parce qu'on ouvre un petit peu la porte pour comprendre cette énorme crise sanitaire", concluent les deux chercheurs.
Lexique
soit sous l'effet d'un environnement chaud ou d'un travail musculaire intense en milieu chaud et humide (coup de chaleur) avec débordement des capacités d'adaptation de l'organisme (cutanées, respiratoires, cardio-vasculaires) ;
soit (fièvre) lors d'un processus infectieux, de la prise de certains médicaments (réaction allergique ou non)...
soit processus immunitaire avec libération de substances qui vont, au niveau cérébral, induire une réponse fébrile (ce même mécanisme peut être retrouvé lors de traumatismes ou autres troubles cérébraux).
élévation de la température centrale du corps > à 43°, l'augmentation du CO2 en fin d'expiration, associées à une hypertension artérielle ou une tension artérielle instable...,
une accélération des rythmes cardiaque (tachycardie ) et respiratoire (tachypnée),
une rigidité musculaire...
dépôts d'urates dans la plupart des tissus et organes (sauf les poumons, le système nerveux central, le foie et la rate), parfois volumineux (tophi goutteux) mais indolores ;
de crises de coliques néphrétiques par formation dans les voies urinaires de calculs rénaux composés d'acide urique quand son excrétion urinaire est élevée (hyperuricurie ;
d'insuffisance rénale par infiltration d'urates dans le tissu rénal ;
...
à un déficit enzymatique héréditaire (très rare) ;
à des maladies du sang, malignes ou pas, dans lesquelles la destruction des globules rouges génère une augmentation de l'acide urique sanguin ;
à une insuffisance rénale chronique ;
à certaines prises médicamenteuses (diurétiques...) ;
toxiques (intoxication par le plomb...)...